Par Romain Sordello en collaboration avec Yohan Tison (Mairie de Lille), le 1er mars 2013
La Chouette hulotte est présente à Lille et elle s'y reproduit. En 2012, quatre contacts autidifs ont été établis sur la commune et l'espèce a été notée nicheuse certaine à la Citadelle avec au moins deux couples reproducteurs (Source : Mairie de Lille Yohan Tison). La carte ci-dessous présente ces différentes données connues.

Cet état des lieux sous-estime certainement le nombre de couples de Chouette hulotte à Lille. Le quartier St Maurice au nord-est de la Ville ou ceux situés autour du Triangle des Rouges-Barres sont constitués de jardins et d'anciennes propriétés arborées comptant régulièrement des arbres centenaires. C'est le cas également sur la commune de Lamberrsart au Nord de la Citadelle. Il est probable donc que ces ensembles abritent quelques individus. Par ailleurs, la commune de Lille héberge aussi plusieurs parcs où aucune donnée de Chouette hulotte n'est mentionnée. Ceux-ci pourraient théoriquement être propices à cet oiseau, tel que le Parc Matisse (8 ha).
Pigeon Colombin sur une cavité naturelle au Parc de la CitadellePhoto Yohan Tison > Le parc de la Citadelle constitue le poumon vert principal de la commune et cela se vérifie pour la Chouette hulotte puisque chaque année elle s'y reproduit. Initialement, la Citadelle était un terrain militaire constitué de talus, de fossés, de glacis et de chemins couverts. C'est en 1880 qu’il fut aménagé en parc de loisirs avec la plantation de nombreux arbres, puis il a petit à petit pris un aspect de parc boisé. Il était cependant déjà partiellement boisé avant cet aménagement paysager car sur certains glacis, des Frênes et quelques Chênes sont aujourd'hui âgés de 187 ans. Désormais, la municipalité gère cet espace sur 70 ha et en fait une priorité dans le cadre de son action sur les espaces verts. Outre la Chouette hulotte, on y observe d’autres espèces nocturnes et/ou forestières (chauve-souris telles que le Murin de Daubenton et le Murin à moustache, oiseaux tels que le Pigeon Colombin, l’Épervier ou le Pic épeiche).
Parc Jean-Baptist LebasPhoto Velvet (Wikimedia commons) Parmi les espaces identifiés dans le diagnostic, on note aussi le Parc Jean-Baptist Lebas qui correspond à une présence nouvelle en 2012, contrairement aux autres lieux répertoriés. Cet espace vert de 3 ha s’organise autour d’une trame originelle de marronniers centenaires, confortée par la plantation de jeunes tilleuls. Il fut inauguré en 2006 dans le cadre d'un projet de réaménagement du parking sauvage qui s'y trouvait. Il s'implante sur le boulevard du même nom qui constitue l’un des cinq grands boulevards plantés de Lille, et il est donc situé en plein cœur de la ville. Il est suspecté que le mâle entendu dans ce parc provienne de la vaste friche ferroviaire attenante.
Saule au Triangle des Rouges-BarresPhoto Yohan Tison Enfin, le Triangle des Rouges-Barres, où la Chouette hulotte est également présente, est un autre site cumulant une riche biodiversité sur la commune de Lille. Il s'agit d'une friche de 11 ha bordée par trois chemins de fer et gérée par convention avec Réseau ferré de France. Une partie est gérée via 60 moutons de race rustique. La partie boisée où les hulottes sont régulièrement contactées est constitué de Salix, Populus tremula et bouleaux avec une nappe affleurante. Cette friche a plus d'un siècle d'existence mais une partie conséquente du site a été comblée dans les années 50/60 par des remblais sidérurgiques ne laissant qu'une roselière inondée de 2000 m². Il y reste tout de même une biodiversité des plus diversifiées de Lille avec quelques plantes protégées.
> Depuis 1999, la Ville de Lille est engagée dans la gestion différenciée de ses espaces verts et depuis 2004 dans la restauration de sa biodiversité. Rappelons que Lille a été primée deuxième de sa catégorie du premier concours "Capital biodiversité" en 2010 et première en 2012.
Plus précisément, parmi les actions qui peuvent être favorables à la Chouette hulotte, la Ville de Lille pratique une politique de conservation du bois mort et des arbres à cavités. Au Parc de la Citadelle, plus de 35 mètres cubes de bois mort sont maintenus à l'hectare dont 10 chandelles par hectare, propices à la nidification de Strix aluco. Les parties arborées du Triangle des Rouges-Barres comportent une quantité de bois mort encore supérieure.
Arbre à cavité et arbre chandelle au Parc de la Citadelle - Photos Y. Tison
Au Parc de la Citadelle, la gestion est aussi dirigée vers une diversification de la strate arbustive. Les arbustes étaient présents en abondance sur ce site jusque dans les années 1990 où, pour des raisons de sécurité, il a été décidé de les supprimer entièrement. La gestion à cette époque a été radicale et a eu des conséquences importantes sur le maintien de certaines espèces de plantes et d'animaux. Depuis 2007, environ 15 000 arbustes dont 5 000 noisetiers ont été plantés, issus de plants mis en culture à partir de semences prélevées dans le bocage de la région Nord-Pas-de-Calais. Ce type de pratiques peut notamment favoriser les proies de la Chouette hulotte. Par ailleurs, la majorité des gazons ont été convertis en prairie fauchée et exportée pour la diversification floristique. Ce type d’actions est aussi favorable au maintien d’un couvert pour la microfaune et donc des proies potentielles de la Chouette hulotte.
Par ailleurs, la Ville de Lille lutte également au Parc de la Citadelle contre la pollution lumineuse, via le changement du dispositif d'éclairage (mâts plus courts, verres plants, paralumes, ampoules à sodium haute-pression, extinction de l’éclairage à partir de minuit).
Enfin, la Ville de Lille a posé 7 nichoirs spécialement conçus pour la Chouette hulotte, dans un but avant tout pédagogique.
Installation d'un nichoir pour la Chouette hulotte au Parc de la Citadelle - Photo Y. Tison
> L’ensemble des mesures mises en œuvre sur le site de la Citadelle, favorisant une densité forte de cavités naturelles et de ressources alimentaires, permettent vraisemblablement d’expliquer la possibilité des deux reproductions simultanées notées en 2012 sur ce même site. Ces deux couples nicheurs sur 70 ha seulement (le site mesure 110 ha si l'on y inclut le parking qui est sans intérêt pour la Chouette hulotte) amènent en effet à une taille de domaine vital d’environ 35 ha par couple en prenant la Citadelle comme un espace délimité. Pour comparaison en milieu rural, Baudvin (in Yeatman-Berthelot & Jarry, 1994) recense environ 1 couple pour 64 ha en forêt de Cîteaux, mentionnant cependant qu’en forêt de feuillus riches en proies, 20 à 30 ha seulement peuvent suffire à un couple. Notons toutefois qu’en milieu urbain, parmi les valeurs extrêmes connues, Galeotti (1990), à Pavia (Italie), évalue le plus petit domaine vital à 3 ha seulement. En 2012, la Chouette hulotte s’est même reproduite avec succès à Paris dans le jardin d’une résidence d’une superficie de 0,15 ha (Sordello, données non publiées). Dans ce dernier cas, la situation ne semble pas pouvoir s’expliquer autrement que par un domaine vital morcelé, composé de cet espace minimaliste entouré de bâti et très peu boisé accueillant simplement la cavité puis d’espaces satellites servant à la chasse situés à proximité (notamment un cimetière et un grand parc public) (Sordello, données non publiées).
Ce qu’il faut noter dans le cas de la Citadelle est donc avant tout peut-être la promiscuité entre ces deux couples, séparés de 440 m uniquement à vol d’oiseau. Cette distance paraît étonnante compte tenu de la forte territorialité de Strix aluco qui se montre très agressive envers ses congénères et qui est très attachée à un territoire exclusif pour la ressource alimentaire. Plusieurs cas de reproduction (en nichoirs) entre 400 et 500 m sont néanmoins connus en milieu rural, à Cîteaux notamment, sans qu'il soit possible de dire si cela est exceptionnel dans la mesure où les nichoirs sont normalement placés à une distance plus importante les uns des autres (com. pers. Baudvin, 2013).
Dans tous les cas, ces deux couples nicheurs recensés à la Citadelle de Lille semblent indiquer des conditions écologiques optimales sur ce site, permettant une cohabitation rapprochée. Par contre, le caractère isolé de ce parc au sein de l'agglomération, elle-même entourée d'une matrice de milieux agricoles d'open field et de zoning industriels, reste sans doute une limite à noter pour ce lieu et qu'il serait intéressant d'approfondir.
> A titre indicatif, la Chouette effraie est aperçue très sporadiquement à Lille. La Chouette chevêche quant à elle est très présente autour de l'agglomération et fait l'objet de mesures spécifiques pour sa conservation (plantation de 5 km de saules têtards le long du canal de la Deûle sur Lille).
Liens utiles :
- Page « Espace vert » du site internet de la Ville de Lille,
- Interview de Yohan Tison, écologue de la Mairie de Lille.
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